Les salauds de l’Europe – Jean Quatremer – 2017

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D’ici 20 ans, plus aucun des pays européens du G7 n’en fera partie.

L’Europe et ses 500 millions d’Européens concentrent 50% des dépenses sociales de la planète de 7 milliard d’habitants.

L’euroscepticisme  prend sa source dans les demi-vérités et dans l’absence de mise en perspective.

Les salauds de l’Europe ce sont les élites nationales et Européennes, celles qui ont fait de l’Europe une post démocratie ou les citoyens sont tenus a l’écart, celles qui décident a Bruxelles de politiques qu’ils n’assument pas dans leur capitale…Mais ce sont aussi les démagogues, du Front National au Mouvement 5 Etoiles, en passant par l’UKIP, l’AfD allemand, le PVV néerlandais…Des démagogues qui mentent sans retenue, déforment les faits, attisent les haines et qui ne trouvent personne pour leur répondre, puisque personne l’assume plus l’Europe, notamment en France…ce sont ceux qui détruisent l’idée européenne que Barack Obama a vantée…comme l’une des plus grandes réalisations politiques et économique des temps modernes.

Personne ne conteste que l’unification politique du continent n’a pas été portée par un irrésistible mouvement populaire.  Aucun gouvernement n’a jamais pensé consulter les citoyens lorsque la construction communautaire a été lancée dans les années 50….il était politiquement impossible pour la France de convoquer une assemblée constituante européenne qui aurait adopté une Constitution à la suite d’un large débat citoyen. Une telle aventure aurait débouché sur un échec certain.  Schuman prône une Europe qui se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait.

Entre 1950 et 1952, les projets de création d’une Europe des transports, d’une Europe agricole et d’une Europe de la santé publique, toutes trois gérées par des Hautes Autorités, échouèrent face aux oppositions du Parlement ou de tel ou tel gouvernement…parce qu’il n’avait pas la porté politique de la CECA et parce qu’ils n’avaient pas été préparés dans le secret, ce qui a permis une mobilisations des opposants…

Schuman indique en 1951 qu’il proposer au moment voulu la création d’une organisation politique européenne pour la formation d’une politique étrangère commune.

EN 1950 la France prépare la Communauté Européenne de Défense, une armée européenne. Elle sera ratifiée facilement par les partenaires de la France alors qu’elle est rejetée par le parlement Français. De Gaulle «  l’Europe sera construite sur le cadavre de la France »  en 1952.

Intéressée par une « communauté de l’atome » la France, pour l’obtenir, s’engage alors dans un Marché commun européen qui, lui, intéresse ses partenaires Allemand et au Benelux.

Raymond Aron – l’idée de l’unité européenne est d’abord une conception d’hommes raisonnable, ce n’est pas un sentiment populaire

Cette capacité du referendum à fédérer les « non » surtout lorsque les bénéfices du « oui » sont hypothétiques et lointains est telle connue que ceux qui réclament des référendums  sur l’Europe sont toujours ceux qui lui sont opposés.

L’Europe n’a pas été fondée contre ses peuples mais pour eux, en respectant les processus démocratiques internes. (Aucun état n’a jamais été fondé à la suite d’un référendum).

Les rois qui ont fait la France ont-ils  demandé aux Angevins, aux Lorrains, aux Alsaciens s’ils acceptaient de faire partie du royaume ? A la fin du XVIIIe siècle, le français est une langue minoritaires comprise par seulement 10 à 20% des habitants…ce n’est qu’après la première guerre mondiale que la majorité des français parle le français a la maison.

Le point Godwin : «  plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis s’approche de 1 » ; moment dans un débat ou les adversaires s’injurient et ou toute discussion constructive devient impossible.

Le Conseil européen est devenu dès les années 80 de facto l’institution qui préside aux destinées de l’Union. Les présidents de la Commission après Delors (Santer, Prodi, Barroso) ont transformé la Commission en un simple secrétariat exécutant servilement les ordres du Conseil. Apres la crise de l’Euro en 2010, son rôle est encore renforce avec des réunions quasi mensuelles…

L’exécutif européen dispose du monopole d’initiative législative – il peut ne rien faire même si les états souhaitent qu’il agisse, ou orienter la discussion, car celui qui tient la plume peut faire passer ses idées.

Il reste néanmoins qu’un pays peut se voir imposer une décision dont il ne veut pas. Mais souvent les gouvernements demandent à être mis en minorité pour pouvoir incriminer Bruxelles (alors qu’ils soutiennent la position mais ne peuvent la vendre politiquement dans leur pays…)

Majorité qualifiée : 55% des pays représentant 65% des Européens.

Il n’est arrivé que très rarement qu’un gouvernement tombe à cause de ce qu’il a décidé à Bruxelles. C’est arrivé à ma connaissance une fois en Slovaquie, en 2011, lorsque le Parlement n’a pas accepté le principe de solidarité financière avec la Grèce (pourtant accepté par la Première ministre).

Apres tout, cette absence de contrôle direct (des citoyens sur les institutions de l’Europe) est-elle si grave ? En France ou aux USA, le Président ne peut pas non plus être censuré ou contrôlé : ce qui est important, ce sont les contre-pouvoirs mis en place.

Une zone Euro échappant a tout contrôle : le Parlement (bien qu’ayant des pouvoirs de codécisions étendus et faisant jeu égale avec le Conseil -sauf dans certains nombre de domaine y compris le budget !- qui doit maintenant compter avec lui) n’a pas son mot à dire au sein de la zone Euro. Alors que la zone Euro ne se réduit plus uniquement à la politique monétaire, mais touche désormais a la politique économique et budgétaire, aucun contrôle parlementaire n’existe (sauf au niveau national ou ils exercent un contrôle sur la partie qui concerne leur pays  et non sur l’ensemble de la politique applicable à la zone Euro).

Neelie Kroes : sous la surveillance directe de Junker a cause de sa participation dans une vingtaine de conseils d’administration laissant craindre des conflits d’intérêt.

Canete :  a fondé deux compagnies pétrolières (désormais dirigées par des membres de sa famille) et conserve son poste de commissaire à l’énergie et au climat (car soutenu par le PPE qui a pris en otage la candidature Moscovici…)

Depuis 1999 (chute de la Commission Santer) la Commission ménage come jamais le Parlement qui est devenu un acteur important de l’Union. Il est indéniable que l’Europe est partiellement entrée dans l’ère de la démocratie parlementaire.

En France, le referendum est devenu la forme la plus achevée de la démocratie alors qu’il en est une forme dégradée, comme l’ont bien compris les Allemands qui l’ont interdit.

Les referendums sur l’Europe : 10 votes négatifs contre 29 positifs. Ce qui en dit long sur le soi-disant rejet de l’Europe par les peuples.

Le non au référendum de 2005 – le traité constitutionnel européen : la principal motivation du non était les risques qu’il faisait peser sur l’emploi…alors que le TCE reformait surtout les institutions (mais reprenait aussi les textes des traités précédents). Les principales modifications furent intégrées deux ans plus tard dans le traité de Lisbonne.

La Commission tend à devenir au fil du temps un problème pour l’intégration communautaire, sans doute supérieur à celui que représentent les Etats. L’exécutif Européen … a oublié ce qu’était l’intérêt général Européen. Je me demande sincèrement s’il y a encore quelque chose a sauver dans cette institution qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut.

Le chef d’Etats ont convenu qu’il ne fallait plus nommer a ce poste que d’anciens Premiers ministres afin de ‘rehausser’ la fonction. En réalité le but était de raccourcir la laisse de la Commission : un ancien Premier Ministre a été membre du Conseil européen et a tendance à se comporter comme tel – en clair il cherchera à ne pas déplaire à ses collègues et mandants.

La réforme de Neil Kinnock en 2004 a consisté à briser ce qui avait été à l’origine conçu comme un corps d’élite construit sur le modèle de l’administration française pour passer a une logique de management privé proches de normes anglo-saxonnes. Il y eu un affaiblissement de l’esprit Européen due à l’accroissement des taches de pure exécution. Le recrutement ne se fait plus sur la connaissance des affaires communautaires et leur engagement Européen. Faute de capacité interne, la Commission doit faire appel des consultants extérieurs, généralement britanniques ou américains….

Le commissaire à la concurrence veille a empêcher la constitution de monopole sur le marché européen, même si cela interdit la constitution de champions européens mondiaux (Apple, Amazon, Microsoft n’auraient jamais pu naitre dans l’Union.

La Commission est incapable de remplir sa tâche, qui est non seulement d’aider à la construction communautaire, mais aussi de faire aimer le projet européen. Elle est incapable de la moindre empathie, car dénuée de tout sens politique.  Cette absence de sens politique se fait sentir dans tous les domaines, comme le montre, par exemple, la négociation de l’accord d’association avec l’Ukraine qui a déclenché les foudres russes et entrainé l’annexion de la Crimée et la guerre dans l’Est du pays…la bonne approche aurait consisté à parler à Moscou avant toute négociation pour l’assurer que jamais l’Ukraine n’adhèrerait a l’Union ou l’OTAN, comme cela avait été fait avec l’Autriche avant 1989.

Le CETA était un accord mixte – et non pas purement communautaire, c’est-à-dire qu’il devait être ratifié par le Parlement Européen et l’ensemble des parlements nationaux

Guy Verhofstadt, président du groupe libéral, ancien Premier ministre belge, émarge dans pas moins de 7 conseils d’administration (pour 12,000 euro/mois en plus de son salaire d’eurodéputé.

Le traité de Lisbonne a introduit  la possibilité de réduire les compétences de l’Union : c’est un symbole fort, puisqu’il était acquis jusque-là que l’extension des compétences de l’Union était infinie.

En matière de politique sociale, l’union n’a rien à dire dans les domaines des salaires, du droit syndical, du droit de grève, du droit de fermeture temporaire d’entreprise. Elle peut simplement adopter à la majorité qualifiée des normes minimales en santé, sécurité et conditions de travail des travailleurs, consultation des travailleurs, lutte contre la discrimination et modernisation des systèmes de protection sociale. Pour les autres compétences, l’exigence de l’unanimité paralyse l’exercice.

L’union n’était que la spectatrice du traite de Lisbonne : les gouvernements ont même refusé que la Commission publie un tableau de bord des reformes accomplies et restant à accomplir.

Si on ajoute a cela la propension des Etats a communautariser les échecs et a nationaliser les succès européens, on comprend mieux la frustration qu’engendre la construction européenne.

Ce procès en ultralibéralisme de l’union, contre la concurrence libre et non faussée, est une spécificité hexagonale. L’union regroupe des pays qui ont en commun la démocratie et l’économie de marche. Mais une économie sociale de marché comme l’affirme les traites, l’union concentrant la moitié des dépenses sociales de la planète

La concurrence libre et non faussée, son but est double; réguler la concurrence sur les marchés et entre les états. L’exact contraire de l’ultralibéralisme.

La politique de la concurrence a une fâcheuse tendance à retenir une définition très étroite du ‘marche pertinent’ ; elle se limite trop souvent au marché européen, voire une partie de se marche, alors que la concurrence est mondiale. Avec la Commission, ni Google, Amazon etc. n’aurait pu voir le jour en Europe.

En 2014, les Etats Membres ont été autorisé à aider leurs entreprises à hauteur de 152 milliard d’Euro (y inclus 41 milliard pour le rail). La Commission n’a mis son veto qu’a 1,8 milliard d’aide jugées illégales.

Fonds structurels : les pays de l’Est reçoivent 4% de leur PIB en aide communautaire, comme cela a longtemps été le cas pour l’Ireland, le Portugal ou la Grèce.

On a oublié aujourd’hui ce qu’était une crise monétaire qui faisait perdre de sa valeur à une monnaie sans qu’on le souhaite et perturbait les échanges. Cela se chiffrait en point de croissance perdu, inflation et récessions.

Il y a, à la Commission et chez les états membres, puisque la première ne peut rien faire sans les seconds, une véritable religion libre-échangiste. 90% en volume des marches publiques sont ouverts à la concurrence en Europe, 32% au Etats Unis, 28% au Japon, 16% au Canada. On cherchera en vain un Buy European Act comme il en existe aux Etat Unis depuis 1933. L’instauration d’une préférence européenne pour les acteurs publiques est une possibilité, tout comme les l’utilisation ferme des instruments de défense commerciale.

Pékin concurrence l’Europe dans tous les secteurs. L’erreur de l’Europe est  d’avoir accepté d’entrer en concurrence avec un pays qui ne respecte aucune règle du jeu, qu’elles soient concurrentielles, environnementales, monétaires ou sociales (et de croire que toute la planète va accepter le jeu de concurrence ouverte qu’elle développe en Europe…)

Traite de Maastricht : la grande Bretagne a réussi à affaiblir, tout au long de la négociation, les articles sociaux avant de réclamer, lors du sommet de Maastricht de décembre 1991, un ‘opt out’, ce qui obligea ses partenaires à placer tout le chapitre, pourtant peu contraignant, dans une charte à part.

Les coopérations renforcées, qui permettent à quelques pays d’avancer plus vite dans certains domaines, n’ont débouché sur rien en matière fiscale. Le dumping fiscal et social est bien le résultat de la volonté des Etats, pas de l’Union.