La composition des mondes – Philippe Descola – 2014

Les plantes cultivées en Amazonie sont riches en calories mais pauvres en protéines (manioc). D’où le rôle crucial de la chasse et la pêche pour obtenir des protéines animales. Comme les espèces chassées sont plutôt mobiles et assez dispersées, la maximisation de l’acquisition de protéines par la chasse devait induire un habitat humain dispersé et avec une faible densité démographique. C’est le matérialisme culturel.

Les Achuars n’étaient en rien esclaves de leur environnement. Ils travaillaient 3 ou 4 heures par jour pour pourvoir abondement à leurs besoins. Ils préféraient le « le bien vivre » de leur culture, plutôt que de maximiser leur production.

Les Achuars ont des jardins et pratiquent l’horticulture sur brulis. Ils transforment la forêt. Apres 3 ou 4 ans les rendements du jardin faiblissent en raison de l’épuisement des sols, et les Achuars l’abandonne pour en ouvrir un plus loin. Mais les espèces sylvestres qui y ont été plantées subsistent avec un densité plus importante. Ce processus se déroule depuis 8000 ans et ainsi la structure de la forêt a été profondément modifiée par la présence humaine.

Les anents sont des chants récités mentalement ou à voix très basse, et qui sont des incantations que les humains adressent à l’âme de leur destinataires, humains ou non (les plantes, les animaux etc.) pour résoudre des problèmes, demander de l’aide etc. Ces chants obéissent à des règles strictes (mélodie, contenu) et sont transmis par les ascendants.

Les Achuars se comportaient avec les non humains comme avec des partenaires sociaux (avec la même attitude que dans les rapports humains).

Les animaux chassés étaient traités comme des parents par alliance. Il y à deux catégories élémentaires chez les Achuars : les consanguins (père, mère, frère, sœur etc.) et les parents par alliance (affinités) épouse, beaux-parents. Ce sont les repères sociaux dans leur manière de se comporter. Comme nous les catégories de métier, les CSP chez nous. Les plantes sont des consanguins, les animaux chassés sont des affins.

Ils ne voyaient pas le monde blanc comme un vaste collectif les entourant et prêt à les absorber, mais comme un ensemble de tribu dispersées. Il n’avait pas conscience de vivre dans une sorte d’ilot. Cela a beaucoup changé maintenant.

Bien des Achuars ont oublié le nom de leurs grands-parents, l’endroit où ils vivaient, ce qu’ils ont accompli et l’on ne cultive pas le souvenir au-delà de ce que les vivants peuvent se remémorer. Bref le temps est aplati. On mesure le contraste avec la temporalité d’un monde comme le nôtre ou le passé nous détermine. Cette société offre l’impression d’une liberté individuelle illimitée.

Je me demandais si le fait d’occuper un milieu riche en diversité biologique, ou il est rare d’avoir des populations animales et végétales d’une même espèce, n’avait pas incité les Amérindiens à envisager les relations écologiques comme des rapports interpersonnels avec des individus singuliers, par contraste avec des régions du monde ou une relative uniformité de l’environnement peut conduire à appréhender la nature en bloc.

La céréaliculture ou les plantes sont traités en bloc contraste avec le traitement individualisé des plantes dans l’aire mélanésienne – Igname ou Yam –  ou la culture demande qu’on réserve un espace à la plante et qu’on travaille sur son environnement (plus que sur la plante).

En Australie, la majorité des noms de totems sont des noms d’animaux, mais ce ne sont pas des noms d’espèces mais des noms de qualités employés pour désigner une espèce animal. Les Nungar sont partagés en deux groupes (qui incluent tous les humains et non humains) : le cacatoès attrapeur et le corbeau guetteur, deux noms qui dénotent des qualités. L’animal n’est pas un parent ou un ancêtre, mais une catégorie, une classe défini par une qualité.

Dans certains cas on observe une recréation d’éléments empruntés au monde moderne. On aboutit alors à des syncrétismes tout à fait baroques : le culte cargo en Mélanésie. L’objectif n’était pas d’accumuler des marchandises pour rétablir la parité avec les blancs. Car le don ostentatoire de richesses est un élément central du prestige politique en Mélanésie. Les Mélanésiens étaient dans une situation de dominés, de sorte que le culte cargo était un moyen d’échapper à l’humiliation des flux unidirectionnels de richesse.  

Le géographe Jared Diamond, dans Effondrement, a donné beaucoup d’importance à des cas de dégradation environnementale qui sont en réalité assez exceptionnels.

Tant que l’on n’a pas expérimenté le caractère négatif des transformations environnementales que l’on provoque, il est très difficile de se projeter dans un avenir que l’on conçoit toujours comme incertain.

Les « sites sacrés » en Australie sont des lieux où furent jadis déposées les semences qui permettent l’existence et l’individuation de membres humains et non humains du groupe totémique associé à ce site. La destruction du site est catastrophique pour les aborigènes non seulement parce qu’il est sacré (au sens chrétien) mais parce qu’il est littéralement vital. Ce n’est pas seulement un lieu occasionnel de cérémonies, c’est ce que l’on pourrait appeler une couveuse ontologique, le lieu où se joue la formation des identités des membres du collectif.  Or quand les populations aborigènes veulent se défendre devant les tribunaux, elles utilisent l’argument des « sites sacrés » parce que c’est une catégorie qui a une signification dans notre propre système. Donner voix à ces assemblages complexes d’humains et non humains dans des institutions de tradition religieuse et juridique occidentale est une tâche difficile.

Le langage politique  qu’ils sont conduits à adopter pour parler aux Etats, ONG etc. n’est pas celui dans lequel ils définissent leur environnement. Ils formulent leurs revendications dans un langage compréhensible pour les non autochtones.  D’où la prolifération d’un langage écologique standard que l’on retrouve partout sur la planète.

Même si les Achuars, les Inuits, les Aborigènes peuvent nous en apprendre beaucoup sur l’usage de la nature, notre situation est très différente de celles auxquelles ils ont fait face.

Les milliers de façon de vivre la condition humaine sont en effet autant de preuves vivantes de ce que notre expérience présente n’est pas la seule envisageable.